Article paru dans la revue Transfert no16 de l'ARFOR (Association des professionnels de la formation d’adulte)
Un voyage en train depuis Zurich. Un micro-événement inattendu. L’occasion d’une belle «re-prise» de conscience. A savoir, combien il importe d’affiner notre capacité à quitter notre mode mental «par défaut». Car telle est la condition pour vivre pleinement certains instants. Car telle est, également, une des clés du bonheur. D’où le présent article.
Prochaine station : bonheur, deux minutes d’arrêt
« Contrôle des billets. Veuillez monter vos titres de transport, s’il vous plait ! » Après l’annonce usuelle, suit la contrôleuse. Sur les banquettes à côté de celle qu’occupons mon collègue et moi, un couple et deux enfants. Le père s’exécute :
- Bonjour ! Voilà ! Il tend son natel.
- C’est tout bon, merci beaucoup ! » déclare l’employée des CFF après avoir scanné le QR code.
- Je peux aussi ? Demande la fillette.
- Bien sûr, répond la contrôleuse. À ma grande surprise, elle plonge sa main dans sa sacoche rouge. Elle en tire quatre anciens billets et sa perforatrice.
- Tenez ! fit-elle en tendant un morceau de carton à chaque enfant. Fascinant ! J’ai l’impression de remonter le temps ! Me revoici à l’époque, pas si lointaine, où un ticket était chose physique.
- Ça sert à quoi? Demande le garçon.
- C’est un billet, la preuve que vous avez payé votre course. Maintenant, je vais le trouer. Ça signifiera que vous avez fait ce voyage. OK ? » La fillette et son frère acquiescent en hochant la tête.
- Vous êtes prêts ? » Ils opinent à nouveau du chef, impatients.
- Je suis la contrôleuse ! Montrez-moi vos billets, s’il vous plaît ! La petite blonde présente son rectangle beige. Son frère l’imite.
- Bien! Prenez cette pince et faites un trou dans chaque ticket ! D’accord ? Sérieuse, l’aînée saisit l’instrument magique. Elle serre les lèvres et s’applique. Clic. Et une perforation ! Elle donne l’outil à son cadet. Les poignées sont presque trop grandes pour sa main.
- Tu veux que je tienne le billet ? lâche sa sœur.
- Oui, dit-il, désireux de bien réussir. Clic. Et un autre trou ! Quoi de plus simple et de plus trivial que de perforer un bout de carton ? Pourtant, les enfants semblent médusés. Ils contemplent le rond de quelques millimètres qu’ils viennent de produire – un véritable phénomène !
- Qu’est-ce qu’on dit ? sermonne leur maman.
- Merci Madame ! s’exclament-ils à l’unisson et au comble de la joie !
Une situation d’exception vient de se produire, composée d’interactions sociales, de jeu et de sourires.
Attention au pilotage automatique
La contrôleuse aurait pu se contenter d’un : « Non, ton papa l’a déjà̀ fait. Tu n’as pas de téléphone, n’est-ce pas ? », et passer aux voyageurs suivants. Or, elle a saisi cette opportunité́ pour modifier son environnement, le rendre lumineux, l’espace d’un instant. Jamais je n’avais vu un membre des CFF offrir de la joie et briser de la sorte son train-train quotidien !
Touché, je regarde mon collègue et m’exclame :
- Tu as vu ça?
- Quoi ? La contrôleuse ? Oui, et alors ? me répond-il, blasé.
Les parents me dévisagent, surpris de ma réaction. Ce serait trop long à expliquer. Je replonge dans mon sudoku. De toute évidence, ils ne saisissent pas non plus ni ma question ni pourquoi je m’enflamme ainsi.
Actionner les « aiguillages » mentaux
Depuis lors, j’ai souvent repensé à cette contrôleuse magicienne. Grâce à elle, je mesure la perception aiguë des évènements de l’existence que m’offre la pratique de la pleine conscience. Grâce à elle, je mesure ma chance de voir et de capter, chaque jour, des pépites de bonheur. Grâce à elle, je mesure ma chance de pouvoir changer de mode mental. Car c’est de cela qu’il s’agit.
En bref, notre mental est un dispositif complexe qui fonctionne soit en mode :
« focalisé » : nous y recourons pour les tâches qui requièrent une certaine concentration ou au début d’une méditation. On se focalise sur la respiration pour apaiser le mental.
« par défaut » : lorsque notre esprit vagabonde librement. Il sert à analyser le passé pour se forger des certitudes, créer « des films » pour prédire des futurs éventuels et générer toutes sortes de pensées. Un mode « veille», sentinelle toujours en alerte destinée à nous prévenir des dangers.
« vision profonde » (terme utilisé par Matthieu Ricard) : source d’une sensation de plénitude et de sérénité́ où l’espace-temps nous semble diffèrent. Par exemple lorsque l’on perd conscience des détails des derniers kilomètres que nous venons de parcourir en voiture.
Le mode « par défaut » que nous utilisons toute la journée a cependant un gros défaut. Celui de nous priver du piment de la vie de tous les jours. Celui de nous donner l’impression que notre existence s’écoule... morne, exempte de satisfaction et « sans vie ». Le quitter ouvre sur la magie du présent, du ici et maintenant, de l’importance de l’instant.
Mode d’emploi de l'art de la pleine conscience au quotidien
Durant mon trajet ferroviaire, je ne me suis pas focalisé sur mon souffle. Je me suis rendu perméable à la scène qui se passait sur les sièges près de moi. Et bien m’en a pris. Pratiquer la pleine conscience me fait vivre ma vie de manière plus ouverte, avec d’avantage d’intensité. Voici une méthode :
Lorsqu’un événement s’offre à vous (arbre en fleur sur le chemin, des enfants qui rigolent, un sourire, une conversa- tion téléphonique avec une personne que vous appréciez...) quittez le mode « par défaut » ! Focalisez votre attention pour vous émerveiller en toute conscience !
Maintenez cette qualité d’attention ! Ressentez vos sensations corporelles et cordiales. Vous prendrez ainsi conscience de l’émotion positive que vous vivez à l’instant.
Pour terminer, faites preuve de gratitude pour ce moment ! C’est gratuit. Mais cela renforce le sentiment de bonheur.
Souhaitez-vous également collectionner les pépites ? Renforcer votre art de la pleine conscience au quotidien ? C’est aussi simple que cela ! Bon voyage !
Christophe Fraefel
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